lundi 1 février 2010

Chapitre 11 : Unité ERT 17-133

Le matin suivant mon retour à la base, je me rends donc pour la première fois à mon lieu de travail pour les 9 prochains mois, à savoir l’unité ERT 17-133. Déjà, un détail sympa : c’est pas très loin de l’hébergement. En fait, il y a un chemin qui y mène tout droit, on y est en 5 minutes. Mais comme nous sommes début 1996, en pleine psychose vigipirate à cause des attentats, ce chemin est bien sûr fermé par des grilles, et au lieu de faire 30 mètres en marchant tout droit, on doit faire un énorme détour inutile pour y arriver. En arrivant devant l'Ert, j’ai tout de suite un mauvais pressentiment, car j’ai bien vu grâce à mes yeux que ce truc est ce qu'on appelle dans notre jargon technique un hangar pourri. Et là je me dis « Ouh là, ça sent mauvais ». Car qui n'a pas connu la joie de travailler dans un hangar ne peut pas savoir ce que je ressens à cet instant magique où je me rends compte que je vais passer 9 mois de ma vie dans cette merde métallique glacée. Ben oui, parce que si vous croyez qu'un hangar ça se chauffe facilement, je suis désolé de briser vos illusions mais la réalité vraie c'est que dans un hangar, on se gèle les couilles ! Et pas qu'un peu !

Mais revenons à nos moutons, c'est à dire la découverte par mes globes oculaires émerveillés de ce véritable bijou qu'est l'ERT 17-133. Et bien en fait, comme je ne vais pas tarder à le découvrir, l’unité ERT 17-133 n’est autre qu’une unité de ravitaillement pour les avions (n’oublions pas que mes palpitantes aventures se déroulent sur une base aérienne). En fait, à l'intérieur de cette saloperie de hangar, il y a deux ou trois cloisons qui essaient vainement de passer pour des bureaux, et il y a surtout des rangées et des rangées d’étagères métalliques remplies de pièces détachées plus où moins grandes.

Et là, je dois bien vous avouer que je tombe des nues. Car je me suis toujours plus ou moins considéré comme un « intellectuel », comme quelqu’un qui travaille plus et mieux avec sa tête qu’avec ses jambes. Mais il faut croire que les tests sophistiqués des génies de l’armée avaient déterminé que j’étais plus apte à prendre des trucs sur des étagères à longueur de journée, pour ensuite les mettre dans des camionnettes qui les emmèneraient vers les chevaliers du ciel et leur merveilleuses montures ailées.
Grand amateur de BD devant l’éternel, c’est à ce moment précis que je réalise avec effroi ce que je suis devenu : un sous-fifre de Tanguy et Laverdure ! Et c’est bizarrement aussi à ce moment précis que j’ai commencé à beaucoup moins aimer les Chevaliers du Ciel.

Car il faut bien dire que l’idée de passer 9 mois de ma vie à faire ce travail idiot et répétitif me déprime encore plus que je ne le suis déjà. Surtout que je vais devoir passer tout ce temps avec une belle pelletée de débiles !
Car je ne vous ai pas encore présenté mes chers collègues de l’ERT.

A tout seigneur tout honneur, commençons par les gradés. En fait, ils sont comme presque tous les gradés de la base : cons. Et puis après il y a surtout mes collègues de travail, à commencer par les civils. Car je viens de découvrir que des civils travaillent sur la base ! Ils rentrent chez eux tous les soirs, les veinards. Mes souvenirs sont assez vagues, mais dans l’ensemble ils sont assez sympas.

Et puis il y a les autres appelés. Et là, j’ai droit à un truc pas banal. On me présente un appelé comme moi, un gars qui s’appelle Bagot et qui a prolongé son engagement après le service de plus d’un an ! Ce qui veut dire que ce gars a fini son service militaire depuis plus d'un an et qu'il a choisit de rester là !!! J'ai mon cerveau qui a failli exploser quand il m'a dit ça ! Alors que moi je n'ai qu’une envie : fuir !

Mais le pire ce sont les présentations proprement dites : un des civils (un gars sympa, la petite cinquantaine avec une moustache) me présente Bagot. Je lui serre la main, et je dis quelque chose du genre « salut, moi c’est bruno, ça va ? ». Et le gars Bagot me regarde fixement, et il sort « J’suis d’la région ! ». Un peu surpris par cette réponse, j’essaie d’enchainer par un « ah, euh, ouais, moi j’viens de la région parisienne ». Là, le Bagot me regarde avec un œil ... un oeil comme celui d'une poule quand elle essaie de réfléchir, vous savez, un truc vitreux où on sent un effort de réflexion intense. Ça dure bien 5 bonnes secondes, et là je sens qu’il s’apprête à faire une autre déclaration forte, sur quoi il me ressort « J’suis d’la région ! ». C'est hallucinant, j'ai l'impression d'être dans un sketch des Deschiens, et je commence à me demander si le gars Bagot ne se fout pas un peu de ma gueule. Mais là le civil intervient pour me rassurer, « non, non, il est toujours comme ça ».
Je laisse donc tomber l’affaire, et je comprends que Bagot et moi n’aurons jamais de grande conversation sur les mérites comparés des œuvres de Jean-jacques Rousseau et Voltaire.

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