lundi 28 décembre 2009

Chapitre 6 : Les autres trouffions

Mais assez parlé de moi, bien que ce soit un sujet méga intéressant. Parlons un peu des autres appelés. Nous sommes répartis par sections. Et il y a dans ma section un gars assez agaçant. Je ne me souviens plus de son nom, je me souviens juste qu’il a une petite barbichette, ce qui lui donne l'air assez con. Comme en plus, il est très con, ça lui va très bien. C’est le genre de gars qui pose toujours la mauvaise question au mauvais moment, si vous voyez ce que je veux dire. Tout le monde connaît ou a connu quelqu’un comme ça.

Enfin bref, il agace vraiment tout le monde. Les appelés, les gradés, tout le monde. Tout ça pour dire qu’il nous a valu un des rares traits d’humour que j’aie jamais entendu franchir la bouche d’un gradé. A l’armée, quand vous êtes malade et que vous allez au docteur de la base, on dit que vous êtes « consultant ». Cherchez pas, c’est comme ça, ils ont un nom différent pour à peu près tout.

Un jour donc, l’appelé en question est malade, et il se rend donc à l’infirmerie avant l'appel du matin. En faisant l’appel, notre sergent s’en rend compte et demande où il est. Un des autres appelés lui répond : « Il est consultant, sergent ». Ce à quoi le sergent répond du tac au tac : « il est surtout con, oui ! ». Ce qui a pour double effet de provoquer l’hilarité générale, et de nous montrer que certains militaires peuvent aussi avoir le sens de l’humour.

Sinon, dans ma section il y a aussi des gars sympas. Mais il y a aussi des connards finis. Notamment (désolé pour ceux que ça va énerver) la quasi-totalité des Doms. Force est de constater que ce sont presque tous des connards. Sauf un où deux, mais à part ça, j’ai rarement vu un ramassis de cons pareil. Pour la plupart d’entre eux, leur excuse est qu’ils sont loin de chez eux et qu’ils souffrent atrocement du moral. Et alors ? Comme si c’était une raison pour emmerder le monde ! Moi aussi je suis loin de chez moi et je souffre, et je n’emmerde pas les autres pour autant ! C’est quand même pas de ma faute si ils ont choisi de venir faire leur service en métropole ! Oui, car j'ai appris plus tard que personne ne les avait forcés à venir. Ce sont eux qui ont choisi de venir faire leur service militaire en métropole, et après ils se plaignent qu’ils sont loin de chez eux et qu’il fait froid et qu'ils n'ont pas le moral ! Mais putain, assumez les gars !

Ils ne sont bien sûr pas les seuls connards. Il y a notamment un gars de la région, un certain Muller, qui, en plus de parler avec un accent Alsacien à la con, est lui aussi un connard fini. Et pour finir, une racaille de banlieue qui s’appelait Kaci, et qui je crois est le plus con du lot. Heureusement, après les classes, ces 2 connards furent affectés dans une autre base et je ne les ai jamais revus, pour mon plus grand bonheur.

Mais assez parlé de pauvre cons, parlons plutôt de gens sympathiques, à savoir les gars avec qui je partage ma chambre. Comme je vous l’ai dis avant, j’ai eu la chance de tomber dans une chambre où il n’y a que des gens normaux, et surtout des gens qui adorent rigoler.

On commence donc à faire les présentations. J'apprends que Jérôme et Rémy sont originaires de Montargis, à côté d’Orléans, Arnaud, lui, est un gars du coin, quand à Mick, je ne me souviens plus d’où il vient. Ils sont tous sympas, mais celui avec lequel j’ai vraiment accroché, c’est Rémy. Il est super sympa, et il a un super sens de l’humour, comme moi. Au fil de nos conversations, j’ai appris un jour que son père était certes français, mais que sa mère était monégasque. Ça alors, un monégasque, un vrai ! Ça ne court pas les rues. Pour ma part, c'est la première et dernière fois que j'en ai rencontré un en chair et en os. Du jour ou j'ai découvert ça, j'ai décidé de l'appeler « Le Monacoien », ce qu’il accepte très bien car ça le fait rire. Ce qui l’a moins fait rire c’est quand il s’est rendu compte un jour qu’en tant que Monégasque, il aurait pu choisir de faire son service à Monaco et donc ne pas le faire, ou juste un tout petit truc, je ne me souviens plus. Mais bon, maintenant, il est là, c’est trop tard, il doit finir son service.

Petite digression : sur nos magnifiques tenues militaires, nous avons sur la poitrine, à peu près au-dessus du cœur, un emplacement pour mettre un scratch avec notre nom dessus, histoire que les militaires arrivent à nous différencier.
Un des jeux favoris des gradés quand ils punissent quelqu’un est de lui arracher le scratch de son uniforme, avec force intensité dramatique. A chaque fois, on dirait qu'ils nous refont la dégradation du Capitaine Dreyfus dans la cour de l'école militaire !

Toujours est-il qu'il a dû y en avoir un ou deux parmi les appelés qui n'ont pas apprécié. Et qui se sont plaints en douce. Car un jour ou nous étions alignés en rang d’oignons comme des cons par sections devant l’hébergement, comme tous les jours avant le début de notre torture quotidienne, une aspirante demande notre attention, puis commence à nous sortir un discours alambiqué sur le fait que le « dégrafage » n’est pas conçu comme une humiliation personnelle, et qu’il ne faut donc pas se vexer si un gradé vous le fait. Non, tu penses, on t’arrache juste ton nom puis on le jette par terre comme une merde, mais à part ça, c’est pas dutout une humiliation personnelle.

Tiens, en parlant des aspirants. Comme je l’ai déjà dit, personne ne porte cette bande de cons dans son cœur, à part une ou deux aspirantes auxquelles pas mal d’appelés pensent fortement mais pas dans leur cœur, plutôt sous la douche. Enfin bon, bref, à part ça, comme je l’ai dit, on ne les aime pas. C’est facile, pour moi, ils sont un peu l’équivalent des collabos pendant la deuxième guerre mondiale. Au lieu d’être des trouffions lambda, comme nous, ces salopards ont choisi de collaborer avec l’ennemi pour avoir un meilleur sort, exactement comme les collabos.

En plus, il faut bien dire ce qui est, les ¾ d’entre eux sont des connards finis. Il y en a surtout un que l'armée doit faire fantasmer, car il n’arrête pas de nous dire que au moins, chez les militaires il y a de l’ordre, pas comme dans la société civile ou c’est le bordel. C’est lui qui m’avait ordonné d’aller me refaire couper les cheveux.

Je me souviens du nom d’un seul de ces aspirants : l’aspirant Tissot. Et vous savez pourquoi je me souviens de son nom ? Parce qu'il est très très con, et que j'ai pris l'habitude de ma foutre de sa gueule !
Comme je l’ai dit plus haut, les militaires ont un nom différent pour tout. Et bien pour les expressions courantes, c’est pareil, ils ont les leurs. Par exemple, la plupart des militaires ne disent pas « OK », mais « OKA ». Et c’est le cas de l’aspirant Tissot. Mais, en plus, lui, il ne le dit pas, il le hurle à tout bout de champ. Et comme c’est un petit rouquin d’environ 1,50 mètre, c’est très comique. Dès qu’on nous explique quelque chose, Tissot repasse derrière en hurlant «Est-ce-que-c’est-OKA-messieurs ??? », en détachant bien chaque syllabe au cas où on aurait tous été des débiles profonds, et nous on doit se retenir de rire et hurler « Oui ! » en retour.

Or donc, un jour ou nous sommes tous dans la chambre avec les copains, l’ambiance est particulièrement morose. On est affalés sur les lits, crevés, en silence. Et tout d’un coup j’ai comme une illumination. Je me dresse comme un ressort, je mets mon visage à 5 cm de celui de Rémy, et je me mets à hurler : «Est-ce-que-c’est-OKA-messieurs ???». Un énorme éclat de rire part dans toute la chambre, moi y compris. On est tous morts de rire ! Et moi je continue de hurler de plus belle « OKAAAAA !!! ». Je crois qu’on n’a jamais autant rigolé que ce jour-là. En fait, je pense que c’est toute la tension nerveuse accumulée qui a enfin trouvé une façon de s’évacuer. Et putain, qu’est-ce que c’est bon !!

Mais presque immédiatement, l’un d’entre nous (je ne me souviens plus lequel) me fait remarquer qu’il y a des ouvertures d’aération dans la chambre, et que si ça se trouve, on peut nous entendre dans les autres chambres, voire même à la semaine, là ou se trouvent les gradés parmi lesquels il y a… l’aspirant Tissot ! Bonjour la parano !

lundi 21 décembre 2009

Chapitre 5 : Coupe règlementaire

Le rôle des gradés est donc de nous apprendre la vie militaire. Première chose : la marche au pas. Et oui, comme les Nazis. Non, j’exagère, comme toutes les armées du monde, en fait. Ça à peut-être l’air facile quand on voit ça à la télé dans les défilés militaires, mais en fait c’est super dur. Surtout quand dans ton groupe tu as des cons qui ne respectent pas les consignes. Et le pire, c’est que les sergents qui nous font les classes, sont notés en se basant sur nos performances. Inutile de dire qu’il leur arrive de s’énerver assez rapidement.

Nous voilà donc en train d’apprendre à marcher au pas, de marcher en long, en large et en travers tout au long de cette putain de base. En fait, non. Nous marchions dans un secteur délimité autour de l’hébergement T2. Ah oui, j’ai oublié de vous le dire, c’est le nom du charmant bâtiment qui nous abrite. Et comme nous faisons nos classes, nous avons une zone délimitée ou nous pouvons nous déplacer, toujours accompagnés d’au moins un de nos sergents. En fait, nous ne voyons de la base aérienne qu’un minuscule bout. Nous allons de l’hébergement T2 à la cantine, ou aux salles de classe. C’est tout. De temps en temps, bien sûr, nous allons à d’autres endroits. Pour nous entraîner au tir, ou pour voir de près les avions.
Mais sinon, les 3/4 du temps, notre horizon est assez limité.

La marche au pas, donc. Le problème, quand on s’entraîne à faire de la marche au pas par -5°, c’est qu’il gèle. Et que donc les flaques d’eau gèlent. Et qu'elles deviennent des patinoires. Et quand vous devez balancer les pieds en cadence et avec dynamisme, croyez-moi, ça devient un énorme problème. Parce que vous glissez sur ces putains de flaques gelées qui sont de véritables patinoires. Je ne suis moi-même jamais tombé, mais j’en ai vu pas mal s’étaler. Notamment, un jour, un dom appelé Dalmasie qui s’est étalé de tout son long vers l’arrière, la tête la première. Un des sergents s’est précipité vers lui pour lui demander si il allait bien, et coup de chance, il était un peu sonné, mais à part ça, il allait bien.

Alors là, vous me dites : mais c’est quoi un dom ? Et là je vous dis de vous mêler de ce qui vous regarde. Non, je plaisante ! Et je vais d’ailleurs vous expliquer tout de suite ce qu’est un Dom.
En fait c’est très simple : un dom, c’est un appelé qui vient des Dom-toms. Des territoires d’outre-mer. Je n’ai jamais su pourquoi on les appelait dom, on aurait aussi bien pu les appeler tom. Quoi que, c’est vrai que c’est plus débile tom, ça fait oncle tom. Dom c’est plus neutre. Ça doit être pour ça.

Mais il n’y avait pas que les doms. Il y avait aussi un autre type d’appelés un peu spéciaux. Eux, ils s’appelaient des coopérants où un truc comme ça. En fait c’étaient des appelés comme nous, mais qui avaient fait avant leur service des stages de préparation au service tous les week-ends pendant au moins un an. Et donc, quand ils venaient faire leur service, ils s’y connaissaient déjà un peu, et ils n’étaient pas simples troufions comme nous, les pauvres cons d’appelés normaux. Non, ces messieurs étaient caporal, ou des conneries comme ça, et au lieu d’être avec nous, ils logeaient avec les officiers et ils nous dirigeaient. Inutile de dire que nous ne les portons pas dans notre cœur.
Au début, comme tout les monde, je croyais que c’était des militaires comme les autres. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que ce n’étaient que de sales collabos, et inutile de dire qu’ils ne sont pas remonté dans notre estime, où ils sont déjà très bas, vu que à nos yeux ce sont des militaires.

Mais il y a quand même un truc qui m’intrigue. C’est que parmi ces aspirants (ça y est, j’ai retrouvé leur nom exact), il y a aussi des filles. Et là, j’avoue être quand même intrigué : elles ne font quand même pas ça pour avoir un meilleur service militaire, puisqu’en France, les femmes n’ont jamais fait le service militaire (bonjour l’égalité des sexes !). Et en fait, plus tard, en discutant avec des anciens, on a appris que ces filles avaient en fait fait polytechnique gratuitement ou quelque chose comme ça, et que pour rembourser l’état français de cet investissement colossal, elles doivent servir pendant un certain temps à l’armée (un an, je crois). Mais en tant que gradées, bien sûr, pas en tant que simples soldates. Imaginez ces pauvres filles livrées à des centaines de jeunes appelés en rut, à mon avis l’armée aurait eu quelques légers petits problèmes de viol.
Elle sont donc gradées et logent avec les gradés, mais elles ne sont pas militaires de carrière. Parce qu’il y en a, des femmes militaires de carrière. Mais ceci est une autre histoire.

On passe donc nos journées à marcher de long en large de cette putain de base, à apprendre des conneries militaires dont je n’ai gardé aucun souvenir, et à faire des trucs militaires. Comme trucs militaires dont je me souviens, on a fait : simili guerre dans les bois avec fusils famas chargés à blanc (avec rations militaires et tout), tirs sur cibles à balles réelles (première fois de ma vie que je tenais une arme chargée dans les mains !) et d’autres conneries dans le genre.

Donc, pendant ces saletés de classes, il faut apprendre à marcher au pas, et comme je vous l’ai dit, ça gêle un max. D’ailleurs, un jour, on devait aller s’entraîner, et dehors il y avait une tempête de neige. Vraiment, c’était horrible, ça tombait, ça tombait, on n’y voyait pas à un mètre. Et nous, on regardait ça par les fenêtres, dégoûtés, parce qu’on savait que bientôt on allait se retrouver là-dessous. Sur ce, un de nos deux sergents arrive et nous dit « Bon, écoutez les gars, on va rester à l’intérieur et on va réviser la théorie, parce que là, ça tombe vraiment trop, ça sert à rien d’aller s’entraîner là-dessous ». Un discret « ouf ! » de soulagement fut poussé par toute ma section, et c’est à cette occasion que je me rendis compte que les gradés aussi étaient des êtres humains. Ils étaient comme nous en fait, ils ne voulaient pas aller se les geler.

Une des premières choses qu’ils ont fait quand les classes ont commencé, c’est de nous faire couper les cheveux. Mais attention, ici c'est à l’armée de l’air, donc ce n’est pas la boule à zéro. Et même, ceux qui ont une moustache ou une barbe avant de venir au service peuvent la garder, raisonnablement taillée, bien sûr. Je dois avouer que ça m’a vraiment étonné, moi j'étais sûr que ça allait être la boule à zéro pour tout le monde.
Donc, un jour, au début des classes, ils nous emmènent dans une grande salle située juste en dessous de la cantine. Et là, ils nous livrent aux mains expertes des apprentis de l’école de coiffure du coin. Or, ce qu’ils ne peuvent pas savoir, c’est que j’adore aller au coiffeur. J’adore me faire couper les cheveux. C'est donc pour moi un pur moment de bonheur dans cet océan de misère qu'est mon service militaire. Et le plus beau, c’est que quand je me suis levé, à regret, de la chaise du coiffeur, un aspirant (très con) m’a interpellé « Hep, aviateur ! C’est pas assez court ! Rasseyez-vous ! » Et moi d’obtempérer immédiatement. Je pense que si il avait su le bonheur qu’il me faisait là, il se serait abstenu. Mais toujours est-il que je suis donc retourné me faire couper les cheveux, en dissimulant ma satisfaction, bien sûr, je ne suis pas idiot non plus.

Ce fût malheureusement une des rares éclaircies dans cette période horrible que furent les classes. Car à cause des grèves, nous sommes restés cantonnés dans cette putain de base 3 semaines sans rentrer chez nous. Inutile de dire que ça a été très dur, en tout cas pour moi. Pour dire la vérité, j’avais l’impression d’avoir été mis en prison.

Si on y réfléchit bien, le parallèle est évident. Un univers clos, avec une privation de liberté, ou chacun de vos gestes est dirigé et réglementé sauf quand vous êtes dans vos chambres (les cellules). Oui, c’est vraiment l’impression que j’avais. Et j’étais dégoûté. J’ai toujours été un citoyen au-dessus de tout soupçon, obéissant aux règles et à l’autorité comme me l’avaient inculqué mes parents, et voilà ma récompense, on me fout en taule ?!?

J’avais vraiment beaucoup de mal à m’y faire. Je ressentais cela comme une énorme injustice, et pour tout dire, j’avais des envies suicidaires. Je vous l’ai dit, je n’étais jamais sorti du cocon familial, et pour moi, ce début de service représentait un choc d’une violence inouïe. Heureusement, il y avait les copains, et surtout les copains de ma chambre et de ma section. Mais vraiment, au niveau des copains de la chambre, j’avais eu beaucoup de chance, parce qu’il n’y avait pas un con dans le lot. On s’entendait tous très bien. Ils me redonnaient du courage, et on rigolait bien ensemble.

Une autre chose qui me permettait de tenir, c’était les coups de fil à ma famille. Il y avait une cabine téléphonique juste devant le bâtiment, et le soir, tout les monde faisait la queue pour appeler (eh oui, c’était avant l’avènement du portable-roi) avec sa carte téléphonique. J’appelais tous les jours car cela me réconfortait d’entendre les voix de toute ma famille que j’aime. Eh oui, on est très famille chez moi.

lundi 14 décembre 2009

Chapitre 4 : Hébergement Militaire

Mais, les premières choses en premier, comme disent nos amis anglo-saxons. Laissez-moi vous décrire le merveilleux bâtiment ou nous sommes logés. Il s’agit, je l’ai dit d’un bâtiment conçu et construit pour loger des militaires. Le moins qu’on puisse est que le confort est spartiate. Il est assez grand et il y a deux étages, si mes souvenirs sont bons. Devant le bâtiment, il y a une esplanade assez large pour pouvoir rassembler des gens en rang d’oignons. On peut pénétrer dans le bâtiment par trois portes. Il y en a une sur chaque côté, et une au milieu. C’est celle-ci qui nous intéresse car il s’agit de la porte principale qui donne sur la « semaine ». Une fois à l’intérieur, on peut monter ou descendre, car il y a aussi des chambres en dessous, au rez-de-chaussée. Quand on monte les 7 ou 8 marches vers le haut, on atterrit directement sur la semaine. L’une des principales fonctions des gradés qui occupent la semaine, à part nous faire chier, bien sûr, est de nous donner les clés de nos chambres.

Laissez-moi vous expliquer comment ça marche. Pour avoir la clé de sa chambre, il faut se présenter à la semaine, frapper à la porte, saluer, attendre qu’on vous donne la parole, annoncer le n° de sa chambre, donner son badge nominatif à l’officier, qui vous donne la clé de votre chambre en échange. Et donc l’inverse pour récupérer son badge le matin quand on part pour la journée. Inutile de dire que cette règle nous était répétée à longueur de temps, comme l’étaient les inévitables sanctions qui s’abattraient telle la misère sur le pauvre monde si jamais nous perdions nos badges.
Car il faut savoir que sur une base militaire, personne ne va nulle part sans badge. Même les visiteurs occasionnels ont droit au leur. Et le nôtre doit nous faire 10 mois.

Une de mes plus grandes hantises était donc de perdre mon badge. Et comme je suis bonne poire, c’est moi qui, le plus souvent, vais à la semaine échanger mon badge contre la clé de la chambre. Mais ces connards de gradés nous gardent dans un état de stress tel que, un jour, j’ai pété les plombs.
Comme je lai déjà dit, la semaine était située au début du couloir, et ma chambre était à la fin du couloir. Un jour, donc, j’ai été chercher la clé, j’ai parcouru le couloir, et arrivé devant la chambre avec mes colocataires, j’ai vérifié, comme je le fais souvent machinalement, si j’avais bien mon badge accroché sur ma poche poitrinale gauche. Et là j’ai vu qu’il n’y était pas. Et j’ai pété les plombs. Je me suis mis à hurler « Je l’ai perdu ! J’ai perdu mon badge ! Il était là ! Où est-ce-qu’il est ! Je l’ai perdu ! Y vont m’tuer !! ». Et ce sont les copains qui, immédiatement, m'ont dit de me calmer, et m’ont surtout rappelé que j’avais échangé mon badge contre la clé de la chambre une minute avant. Seulement voilà, j’étais tellement stressé par toute la situation et l’atmosphère militaire, et par la répétition constante des sanctions qu’on se mangerait sur le coin de la gueule en cas de perte du badge, que j’avais complètement oublié que c’était moi qui avait été chercher la clé. Inutile de dire que mon soulagement fût à la hauteur de mon angoisse.

Mais je trouve que cet exemple illustre bien les effets du stress et des situations stressantes sur les gens, et je comprends mieux maintenant certaines informations qu’on peut voir dans les journaux sur des gens qui pètent les plombs. Il suffit de vraiment pas grand-chose !
Rendez-vous compte, il m’a suffit d’un peu moins d’une minute, le temps de parcourir un malheureux couloir d'une centaine de mètres, pour complètement oublier que j’avais échangé mon badge contre la clé et péter les plombs d’une façon cosmique. C’est quand même dingue !

Mais revenons à nos moutons. Dans le merveilleux bâtiment militaire où nous logeons, il y a donc des chambres. Et moi et mes potes sommes locataires d'une de ces charmantes grandes pièces au charme suranné, située au 1er étage juste en face d'un des trois cabinets de toilettes de l'étage. Laissez-moi vous décrire notre petit nid douillet. Il s’agit, je l’ai dit, de chambres construites dans une optique militaire. Autant dire que la notion de confort est appliquée du point de vue des Spartiates, ces grands épicuriens de la Grèce antique. C'est-à-dire le minimum syndical. Six lits, six armoires, point barre. Ah non, j’oubliais, il y a aussi une grande table au fond de la chambre, avec 4 chaises.
Comme je lai dit précédemment, ce sont des bâtiments assez anciens, et la chambre est donc assez grande et haute de plafond. Ce qui est d’ordinaire assez appréciable, mais qui l’est beaucoup moins quand il fait -5° dehors et que la dite chambre est mal chauffée. Autrement dit : on se les gèle !
Surtout dans les jambes. Encore, sur le haut du corps, on peut mettre plusieurs couches de vêtements (1 sous-pull, 1 pull, et le vêtement militaire), mais dans les jambes, à part des chaussettes, zob ! C’est pour ça que j’ai énormément apprécié les « collants » que les militaires nous avaient filés et que je ne les ais pratiquement pas enlevées durant toutes mes classes. Ah oui, ça schlinguait. Mais croyez-moi, je n’étais pas le seul à schlinguer.

Et qu’est-ce-qu’on fait donc pendant nos classes ? Eh ben on apprend à être un soldat. Et qui c’est qui nous apprends à être des soldats ? Des gradés bien sûr.
Les gradés, donc. Des militaires. Des têtes de cons, quoi. On était divisés en groupes, et chaque groupe se voyait attribuer deux sergents, qui étaient chargés de nous enseigner les rudiments de la vie militaire. Après, il y avait les gradés au-dessus, comme sergent-chef, capitaine ou lieutenant, mais ceux-là, on ne les voyait pas beaucoup pendant les classes.
On nous avait donc affecté deux sergents. Pour être honnête, ils n’étaient pas totalement cons, et un des deux était moins con que l’autre.

lundi 7 décembre 2009

Chapitre 3 : Vous qui entrez ici ...

Je me retourne et je regarde la base. Elle est située à 5-6 km après la sortie de Toul. Il y a plusieurs bâtiments les uns à coté des autres qui ressemblent à ces HLM cheaps construits au début des années 70 pour loger les immigrants comme mes parents. Oui, car je suis fils d’immigrants portugais et fier de l’être. Je ne l’ai pas toujours été, mais aujourd’hui j’assume pleinement.

Mais revenons à la base. Elle est bien comme je me l’imaginais, froide et moche, mais ce je n’avais pas imaginé, c’est à quel point cette saloperie serait grande. Ce truc est immense ! Il y a des kilomètres de bâtiments. Et c’est là que je me dis que c’est logique, c’est quand même un endroit d’où on fait partir des avions, donc une sorte d’aéroport, et un aéroport c’est pas petit.

Toujours est-il que je me retrouve dans un bâtiment, assez ancien et moche, qui comporte 2 étages. Ce sont des bâtiments plus anciens que ceux que j’ai vu à l’entrée de la base, ceux-là doivent bien dater du début du 20ème siècle. Ce sont des bâtiments militaires, conçus et construits pour ça. Chaque étage comporte un long couloir d’environ 100 mètres, avec de chaque coté du couloir des chambres (il doit y avoir au moins 20 chambres), et au début de ce même couloir, « la semaine », devant laquelle je me retrouve à faire la queue. «La semaine », c’est en fait le nom qui est donné au bureau des officiers supérieurs qui vont nous diriger pendant ce qu’on appelle nos classes. En effet, le premier mois du service militaire est destiné à nous apprendre les bases de ce qu’il faut savoir pour être un soldat. C’est ce qu’on appelle les classes. Et je ne me doutais pas combien elles seraient dures.

Je fais donc la queue derrière d’autres gars qui ont la même tête de chien battu que moi. Et là, j’ai ma première confrontation avec l’autorité militaire. Un gradé qui passe dans le couloir devant notre file de pauvres hères m’aboie dessus : « Enlevez les mains de vos poches ! », ce que je m’empresse de faire vu que c’est demandé si gentiment. Une fois à l’intérieur du bureau, on me dit que je fais partie du contingent 95/12. Puis on me donne un badge à mon nom avec ma photo dessus et la date de la fin de mon service, à savoir le 30/09/96. On m’explique ensuite que je suis affecté dans telle chambre (je ne me souviens plus du numéro !). Je me dirige donc d’un pas lourd vers ma chambre. Je m’arrête devant la porte et je frémis. Je suis quelqu’un de très timide et qui déteste la promiscuité. J’ai ma propre chambre depuis l’âge de 12 ans. Inutile de dire que la perspective de devoir dormir avec 4 où 5 autres gars dans la même chambre ne m’enchante guère.
Je me décide à ouvrir la porte, et là je tombe direct sur un mec ! Merde ! Moi qui espérait avoir ne serait-ce que quelques instants de tranquillité, c’est foutu. Bon, il ne me reste plus qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je me présente donc.

- Salut, moi c’est Bruno.
- Salut, moi c’est Rémi, me répond-il.

Pour être honnête, le reste de la journée est assez floue dans mon souvenir, mais toujours est-il qu’à la fin de la journée nous sommes 5 dans la chambre. Il faut préciser que ce sont des chambres de 6, il y a donc un lit de libre. Mes autres compagnons sont : Mick, Jerry, et Arnaud. Pour Mick et Jerry, ce ne sont pas leurs vrais prénoms, c’est moi qui les baptise comme ça, ils s’appellent en réalité Jérôme et Mickey. Mais j’aime bien rebaptiser les gens avec des noms plus rigolos, et coup de chance, ils l’acceptent parfaitement. Tout comme Rémi, que je rebaptise « Rémaille », en prononçant le I à la fin de son prénom à l’anglaise.

Avec Rémi, Mick, Jerry et Arnaud nous nous mettons donc à discuter, et nous arrivons très vite tous à la même conclusion qui nous soulage tous : aucun d’entre nous n’est un fouteur de merde, et nous avons tous l’intention de ne pas faire de vagues et de passer un service militaire le plus tranquille possible. Rémy et Jerry se découvrent tout de suite un point commun, ils sont tous les deux de Montargis, à côté d’Orléans. Je ne me souviens plus d’où est Mick, mais Arnaud lui, est le seul à être du coin, il est de Lorraine. Ce qui lui fait une belle jambe vu que, à cause de la grève, les gradés ont décidé que les appelés qui font leurs classes (c'est-à-dire nous), ne rentreraient pas chez eux pour le week-end comme cela se fait habituellement car il y a trop de grèves et donc de risques d’arriver en retard à la base.

Quand ils nous disent ça, je réalise alors que nous allons rester enfermés dans cette putain de base pendant minimum un mois (la durée de nos classes) ! Inutile de dire que le moral, qui était déjà au 36ème dessous, en reprend un bon coup.

Je ne me souviens pas de ma première nuit, mais par contre, je me souviens de mon premier réveil. A 6h00 du matin, on entend une voix nasillarde hurler dans des haut-parleurs : « Réveil des aviateurs ! Réveil des aviateurs ! ». Je m’extirpe des brumes du sommeil en me disant « Mais qu’est-ce-que c’est que ces conneries ? y’a pas d’aviateurs ici ! Un aviateur c’est un gars qui pilote un avion !» Et c’est là que ça me frappe : c’est nous les aviateurs ! Comme dans l’armée de terre on appelle les appelés « soldat », et bien dans l’armée de l’air on les appelle « aviateur ». Je peux vous dire que au début, ça fait bizarre de s’entendre appeler aviateur à tout bout champ. Mais bon, c’est un coup à prendre, et au bout de quelques temps, on s’habitue.

Toujours est-il que à 6h15, la même voix assène dans les mêmes haut-parleurs la phrase définitive « Réveil et lever des aviateurs ! Réveil et lever des aviateurs ! ». Et là on est bien obligé de s’extirper à regret de la chaleur de son petit lit douillet. Oui, car il fait très froid en Lorraine, et là en plus on était au mois de décembre. On se gelait. Et inutile de dire que ces baraques militaires n’étaient pas super bien chauffées. Je crois que je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie que pendant ces premiers mois d’armée, de décembre à mars. Parce que il faut aussi que je vous précise que les bases aériennes sont construites en hauteur, là où il y a le plus de vent, rapport aux avions. Alors ce vent, plus le froid, plus la neige, ça fait quand même beaucoup pour quelqu’un comme moi qui suis frileux.

Après le réveil matinal et le petit déjeuner, on nous emmène dans une sorte de hangar ou on va nous donner notre barda, c'est-à-dire tout le nécessaire pour s’habiller en militaire. On arrive donc dans ce hangar, on nous donne un caddie, et on est obligés de se mettre en slip et chaussettes pour voir si les vêtements nous vont à peu près. Inutile de dire que le hangar n’est pas chauffé, et qu’on se gèle grave. Toujours est-il qu’après avoir fait le tour du hangar et des comptoirs, on est habillés pour 10 mois. On a tous : un treillis, un calot, une parka, une ceinture, des bottes, un costume bleu avec une cravate bleue, etc …

Mais, l’objet le plus important, ce qui va vraiment me servir pendant tous ces mois de souffrances glaciales, ce sont des espèces de collants en laine qu’ils nous donnent pour mettre sous le pantalon pour avoir chaud. Ces trucs ne m’ont pratiquement jamais quitté pendant tous ces temps de froidure. Parce qu’il faut savoir qu’un pantalon de treillis, c’est pas très épais, c’est quand même fait pour pouvoir se battre dans la jôngle, et c’est donc fait dans du tissu assez souple. Alors inutile de dire que quand ça caille et qu’il y a du vent, on le sent bien. Ces « collants » étaient donc, tout du moins en ce qui me concerne, une bénédiction du ciel.