mardi 26 janvier 2010

Chapitre 10 : Retour à la Base

Après cette trop courte période de bonheur, je dois m’en retourner à cette putain de base. Je vous dis pas la joie !

C’est la première fois que je prends le train en direction de Toul, puisque mon père m’avait emmené en voiture à la base la première fois. Je prends donc le métro vers la gare de l’Est, puisque c’est de là que part le train vers la lorraine. Ce que je ne sais pas, c’est que c’est loin d’être la dernière fois que je prends ce putain de train. Car à ce moment-là, j’ai encore le fol espoir d’être affecté à coté de chez moi, même si je sais dans mon for intérieur qu’il y a en fait très peu de chances que ça arrive vu que ce genre de places sont réservées aux pistonnés, ce que je suis loin d'être.

Alors déjà, quand on arrive à la gare de l’Est, on commence à déprimer parce que il faut bien dire ce qui est : la gare de l’Est est moche. Et puis rien que le nom est déprimant : gare de l’Est. Franchement, qui aime aimer à l’Est ? Vous je ne sais pas, mais moi je préfère de loin aller vers le sud, vers le soleil. Mais là, non, gare de l’Est.
Et puis en plus, j'ai peur de louper ma station. Parce que la ville de Toul n’est pas exactement ce qu'on peut appeler une mégalopole où le train s'arrête 3 heures. En fait, le train marque l’arrêt environ 2 minutes et il repart aussitôt. Autant dire que vous avez intérêt à ne pas louper l’arrêt. Vu que c'est la première fois que je prends le train pour la base, je flippe donc grave.

Parce que j’en ai vu plus tard qui avaient loupé l’arrêt et qui ne se sont réveillés qu’à Strasbourg, le terminus du train. Alors ceux-là, non seulement ils sont considérés comme déserteurs, mais en plus ils doivent se payer un taxi pour arriver le plus rapidement possible à la base, où ils sont immédiatement mis au trou parce que déserteurs. Ils sont gagnants sur tous les tableaux, quoi.

Mais je n’ai heureusement jamais eu ce problème. Car, oui, comme vous l’avez deviné, à peine arrivé sur la base, j'ai appris la bonne nouvelle ! Je suis affecté définitivement sur cette putain de base où j’ai fait mes classes. Youpi ! Joie ! Alléluia !

Un immense bonheur m'envahit et me pénètre, comme dirait Coluche. Inutile de vous dire qu’une joie sans pareil envahit mon cœur à l’annonce de cette nouvelle ! Je vais pouvoir continuer à me lever aux aurores pour aller dans le vent et le froid faire un boulot stupide à plein temps tout en étant payé une poignée de cacahouètes et en bénéficiant de l’hospitalité de l’armée ! Ouais !

Pour les (quelques) coincés du cerveau qui n'auraient pas compris, les lignes précédentes étaient ce qu'on appelle de l'ironie. En fait, je suis dégouté ! Affecté à cette putain de base ! Merde ! Et bien sur, tous les connards sont affectés à côté de chez eux.
Je suis en train de discuter avec mes amis, tous affectés sur la base eux aussi et loin d'en être ravis, quand un ancien s'approche et nous explique la chose suivante : si on veut être affecté à côté de chez nous, au lieu de se tenir à carreau pendant les classes, il faut faire chier le monde. Comme ça, les gradés n’ont qu’une envie : se débarrasser de toi et t’affecter ailleurs. Et c’est maintenant qu’il nous dit ça, ce con !

J’ai donc été affecté définitivement sur la base de Nancy-ochey, et plus précisément dans l’unité Ert 17-133. Et je dois bien avouer ma totale perplexité à l’annonce de cette affectation car je n’ai absolument aucune idée de ce que peut bien être cette unité Ert 17-133. Je vais malheureusement le découvrir assez vite.

lundi 18 janvier 2010

Chapitre 9 : Santa Claus is coming to town !

Enfin, je la vois, la terre promise, la Gare de Bois-colombes ! Mon dieu, que j'aime son architecture Art Déco des années 30 ! Je suis enfin chez moi ! Je sors du train, je prends l'escalator, et j'atterris dans la rue des Bourguignons, toute illuminée ! En ce qui me concerne, c'est un peu comme si j'étais mort et que j'arrivais au paradis. Retrouver enfin mon chez moi après ce long mois dans ce coin paumé de Lorraine … je suis tellement heureux que j'ai l'impression que je vais exploser ! Après avoir aspiré plusieurs bouffées de ce délicieux air pollué, je me précipite chez moi, et je retrouve enfin ma famille !

Enfin !!! Après tout ce temps ! Ils sont tous là ! Enfin, je devrais plutôt dire elles sont toutes là. Et oui, car je n'ai que des sœurs. Et elles sont toutes là, ainsi que ma mère et notre petite chienne, Minnie, que tout le monde appelle Minou. Mon père étant chauffeur de Taxi, il rentrera plus tard, vers 21h30. Mais laissez-moi vous présenter tout le monde : il y a donc là mes 3 sœurs, Elia, Sonia et Magali, ma mère, et Minnie. La structure familiale est la suivante : mes parents ont 4 enfants, et je suis l'aîné. J'ai une sœur qui est née un an et demi après moi (Elia), et deux autres sœurs qui sont nées 9 et 13 ans après moi (Sonia et Magali). Donc ma sœur la plus vieille est toujours ma petite sœur, mais c'est la plus vieille des 3. Oui, je sais, pas un seul frère... Sonia et Magali auraient dû s'appeler Michaël, c'est triste mais c'est la vie. Bref, fin de la digression.


Je n'ai qu'une envie : retrouver les lieux qui me sont familiers. Je demande donc discrètement à Elia de m'accompagner au Prisunic de la rue des Bourguignons pour aller acheter des cadeaux sans que mes petites sœurs ne s'en aperçoivent. Oui, parce que l'armée m'a donné ma première solde pour mon premier mois en enfer, et je compte bien tout claquer en cadeaux. J'ai en effet reçu pour prix de mes souffrances la somme mirifique de 580 francs (environ 90 euros) que je compte bien claquer dans des achats de noël pour ma famille. Je sais que ça n'a pas l'air énorme comme somme, mais avant qu'on se fasse baiser profond par le passage à l'euro, 90 euros c'était une petite somme et on pouvait acheter pas mal de choses avec.

Je pars donc avec Elia au Prisunic de la rue des Bourguignons qui est juste à côté de chez nous. Ah, ce Prisunic, c'est un peu ma deuxième maison. J'y vais depuis ma plus tendre enfance, et c'est là qu'on achète à peu près tout, des BD en passant par les disques, les cassettes vidéos et bien sûr la nourriture. Nous rentrons donc dans le Prisunic, et là c'est magique, il y a toute la déco de Noël. Oui, je sais que tout ça est fait pour de basses raisons commerciales, mais je m'en fous, moi j'ai gardé mon âme d'enfant et j'adore toute l'agitation qui entoure Noël. Nous sommes donc engagés dans l'allée principale du supermarché, quand le coin de mon œil est attiré par quelque chose de coloré qui remue. Ma curiosité l'emporte et je vais voir ce que c'est. Et je découvre qu'il s'agit d'une jolie boite à musique animée. Mais attention, c'est pas n'importe quoi : il y a un décor de noël (une cheminée avec des chaussettes accrochées) et des petites souris qui s'affairent autour de la cheminée. Le tout s'anime quand on met en route la musique, les petites souris se mettent à bouger, et les minis guirlandes autour de la cheminée s'allument.
Et là ça fait tilt dans ma tête :
- j'ai trouvé là un des cadeaux que je vais offrir à noël
- le destinataire de ce cadeau ne sera personne d'autre que ma très chère mère.
Car il se trouve que ma mère est comme moi, elle a bon goût et elle aime bien les objets originaux. Alors à ce moment-là, il y a sûrement des gens qui lisent ceci qui ne vont rien trouver de mieux à me dire que "Ouais, mais ton truc, là, c'est un truc moche en plastoc fabriqué à la chaîne en chine".

Et à ces personnes je ferais trois réponses : premièrement, il y a une contrepèterie et une répétition du son "ch" dans la phrase précédente, deuxièmement, vous n'avez pas vu cette boite à musique, moi oui, elle est très mignonne et elle a en effet plût à ma mère comme je le pensais, et enfin troisièmement, il est sûr que moi comme ma mère nous préfèrerions collectionner les toiles de grands maîtres, mais vu que nous sommes pauvres, nous nous contentons de ce que nous pouvons nous offrir et que nous trouvons joli.

Et puis en plus, ce truc n'est pas donné. 250 francs, presque la moitié de ma solde ! Mais franchement, ça valait le coup, car le jour de l'ouverture des cadeaux, ma mère était ravie. Et elle a conservé cette boite à musique jusqu'à aujourd'hui, impeccable et en parfait état de marche s'il vous plait !

lundi 11 janvier 2010

Chapitre 8 : Une odeur douce et âcre

Quand à moi, en ce qui concerne ma personne personnelle, je suis fou de joie. Même si je suis content de m'être fait des amis sympas, je suis quand même très impatient de revoir ma famille après trois longues semaines en enfer !
Je ne me souviens pas des préparatifs de départ, je me souviens juste de prendre le car spécialement affrété pour nous emmener à Toul pour qu'on puisse prendre le train qui va (enfin !) nous ramener chez nous. Je ne sais plus comment, mais je sais que je me suis retrouvé seul sur le quai, comme un con.

Je me retrouve donc seul sur ce quai, et je vois qu'il y a deux trains qui vont à Paris. Je dois donc en choisir un. Malin, je choisis celui qui s'arrête le moins possible. Je monte donc dans ce train. Je cherche du regard, mais au bout d"un moment j'abandonne : non, je ne connais personne dans ce train. Je marche un peu pour trouver une place ou m'assoir, et là il y a quelque chose qui me frappe : il n'y a que des gars de mon âge dans le train, la vingtaine, et il ont tous un grand sac de militaire de toile verte comme le mien. Et c'est là que je réalise où je suis : dans un train de permissionnaires. J'en avais déjà entendu parler mais je n'en ai évidemment jamais pris. Pour ceux qui ne savent pas ce que c'est, c'est très simple : c'est un train où il n'y a que des militaires, généralement en permission pour le week-end. C'était assez courant du temps où il y avait encore le service militaire.

Je me trouve une place tranquille, je m'assois, et je me prépare à ce long voyage. Au bout d'un bon moment, le train s'ébranle enfin, et je vois la Lorraine s'éloigner, non sans une certaine joie non dissimulée. Je pense que je dois avoir un sourire d'andouille d'une oreille à l'autre.

Peu à peu, je me laisse bercer par le train. Mais au bout de quelques minutes, je sens une odeur douce et âcre s'accrocher à mes narines, et je me demande ce que c'est. En cherchant du regard, je vois des gars en train de fumer. Oui, car à cette époque là on pouvait encore fumer dans les trains. Et force m'est de constater que ce n'est pas du tabac qu'ils fument. Je n'ai jamais fumé, pas plus à l'époque qu'aujourd'hui, mais mon père ayant fumé des gauloises sans filtre pendant toute mon enfance, je connais l'odeur du tabac. Et je connais aussi l'odeur des cigares car j'avais un oncle un oncle qui en fumait pas mal. Et décidément, cette odeur ne ressemble à rien de tout ça. Et tout d'un coup ça fait tilt dans ma tête : ils sont en train de fumer du haschich ! de la marijuana ! de la beuh ! du shit, quoi.

Et si ça m'a pris aussi longtemps pour me rendre compte de ce que c'est, c'est que je n'en avais jamais senti avant. Eh oui, à l'école déjà, je ne faisais pas partie des gens "in", les "branchés", ceux qui fumaient quoi. J'ai décidé quand j'étais enfant que jamais je ne fumerais. Et ce pour plusieurs raisons. Déjà, même quand j'étais enfant, je trouvais que le fait de mettre ces petits bâtonnets dans sa bouche, puis d'y mettre le feu pour ensuite aspirer la fumée dans ses poumons ne pouvait pas être bon pour la santé. Et ensuite parce que l'oncle dont je vous ai parlé plus haut, celui qui fumait des cigares, et qui buvait du bon whisky, et bien il se trouve que cet oncle, qui était mon oncle préféré, est mort alors qu'il avait 55 ans et que j'en avais 8. Et sa mort était directement liée à la consommation excessive de ces merveilleux cigares et de ce bon alcool. Inutile de dire que ça m'a vacciné contre toute envie de fumer, et ce pour toujours.

C'est donc dans ce train que je sent pour la première fois de ma vie l'odeur douce amère du haschich. Mais ce que je ne sais pas à ce moment-là, c'est que c'est loin d'être la dernière. J'aurais en effet souvent l'occasion de sentir cette odeur vu que pas mal de gens en consomment sur la base. Un aparté : je n'ai jamais fumé non plus de haschich. Non pas que je n'en aie jamais eu l'occasion à l'armée, mais un détail m'a instantanément guéri de toute velléité d'essayer : le haschich doit être consommé mélangé à du tabac, roulé dans du papier à cigarette. Et comme je me suis juré de ne jamais fumer du tabac, la cause était entendue.

Après 3 longues heures, le train arrive à Paris. Je me précipite dans le métro, direction la gare St Lazare, et je prends enfin le train pour Bois-colombes. Je rentre chez moi ! J'ai du mal à y croire, surtout après ce premier mois cauchemardesque.

lundi 4 janvier 2010

Chapitre 7 : La fin des Classes

Finalement, au bout de 3 semaine de martyr, ces putains de classes touchent enfin à leur fin. On commence à entrevoir le bout du tunnel. Les gradés sont plutôt contents car tout le monde sait maintenant super bien marcher au pas, et on connait aussi tous le chant de la base par cœur. "Les oies sauvages" que ça s'appelle. Ça donne à peu près ça :

"Les oies sauvages vont vers le nord
Leur cri dans la nuit monnnnte !
Gare au voyage car la mort
Nous guette par le monde
Gare au voyage car la mort
Nous guette par le monde"


Le tout chanté avec force intonations viriles et un sens du rythme assez bizarre. Je crois qu'il y a d'autres couplets, mais je ne m'en souviens plus.

Vu que les classes sont pratiquement finies, on doit passer des espèces de tests, des examens écrits et physiques, pour voir si on a bien assimilé tout ce qu'on nous a appris. On nous fait donc passer ces fameux tests. Je ne me souviens pas trop des tests écrits, je sais juste que mes résultats ne sont pas terribles. Je me souviens mieux des tests physiques. Et notamment du test à la piscine. Moi, je croyais que ce n'était qu'un entraînement, qu'on faisait une longueur de bassin une fois, comme ça, puis qu'on repasserait plus tard. Mais à la fin de ma longueur de bassin, on m'a dit à mon grand étonnement que non, ça y est, c'est fini.

Après, on doit faire de la corde à nœuds. Alors là, je suis découragé d'avance, parce que je n'ai jamais réussi à grimper à une corde, à nœuds ou pas. Je sais qu'il faut coordonner ses pieds et ses mains, mais je n'y arrive pas. J'y suis jamais arrivé, je sais pas pourquoi. J'ai réussi à apprendre plein d'autres trucs, mais ça, jamais. Et c'est pourtant pas faute d'avoir essayé, puisque à chaque fois je me prenais un 0 en sport à l'école. Et ben non, décidément, rien à faire, impossible.

Et je ne suis pas mécontent de constater que pour une fois, je ne suis pas le seul. Car Rémy, qui passe les tests en même temps que moi, vu qu'on est du même groupe, n'y est jamais arrivé non plus. Seulement ce jour-là, il a réussi, pour la première fois de sa vie, à grimper à une corde. Une fois arrivé en haut, il était vraiment super content. Mais le problème, c'est que si il n'était jamais arrivé à monter, il n'avait donc aussi jamais appris à descendre. Et là j'ai vu la panique passer sur son visage, et tout le monde qui lui criait "Reste calme, descend doucement, en rappel !". Il a bien essayé de rester calme, seulement ça n'a pas marché, il a paniqué, et il a fait comme dans les films : il est descendu en laissant ses mains agrippées à la corde. Résultat : il est arrivé en bas avec les mains complètement cramées ! Mais il s'en fichait, l'essentiel pour lui était de redescendre en une pièce. Il est alors parti dans un grand rire nerveux et aigu et il m'a juré que c'était la première et la dernière fois qu'il montait à une corde.

Bref, on a tous passés ces épreuves complètement idiotes, il ne nous reste donc plus qu'à attendre les résultats pour savoir où nous allons être affectés. Il y a deux possibilités : soit être affectés sur la base où on a fait ses classes (dans mon cas Nancy-ochey), soit être affecté dans une autre base, de préférence à coté de chez soi pour pouvoir rentrer à la maison le soir. Je prie pour que ce soit la deuxième solution, mais je ne me fais pas d'illusions car je sais pertinemment que ce genre de places (celles où on peut rentrer chez soi le soir) sont réservées aux pistonnées. Et je suis loin d'en être un.

En attendant, nous trainons donc notre ennui en nous entraînant mécaniquement à marcher au pas pour le défilé de fin des classes qui doit avoir lieu début janvier 96 quand un miracle se produit : la grève qui paralysait la France depuis trois semaines vient enfin de s'arrêter !
Et le jour même les gradés nous annoncent donc la bonne nouvelle : on va pouvoir rentrer chez nous pour Noël ! Après tout ce temps enfermés dans cette putain de base, franchement, on a du mal à y croire, ça ressemble à un miracle. Est-il vraiment utile de préciser que cette nouvelle est accueillie par tous les appelés avec le déferlement d'enthousiasme qu'elle mérite ?