Mais revenons à la base. Elle est bien comme je me l’imaginais, froide et moche, mais ce je n’avais pas imaginé, c’est à quel point cette saloperie serait grande. Ce truc est immense ! Il y a des kilomètres de bâtiments. Et c’est là que je me dis que c’est logique, c’est quand même un endroit d’où on fait partir des avions, donc une sorte d’aéroport, et un aéroport c’est pas petit.
Toujours est-il que je me retrouve dans un bâtiment, assez ancien et moche, qui comporte 2 étages. Ce sont des bâtiments plus anciens que ceux que j’ai vu à l’entrée de la base, ceux-là doivent bien dater du début du 20ème siècle. Ce sont des bâtiments militaires, conçus et construits pour ça. Chaque étage comporte un long couloir d’environ 100 mètres, avec de chaque coté du couloir des chambres (il doit y avoir au moins 20 chambres), et au début de ce même couloir, « la semaine », devant laquelle je me retrouve à faire la queue. «La semaine », c’est en fait le nom qui est donné au bureau des officiers supérieurs qui vont nous diriger pendant ce qu’on appelle nos classes. En effet, le premier mois du service militaire est destiné à nous apprendre les bases de ce qu’il faut savoir pour être un soldat. C’est ce qu’on appelle les classes. Et je ne me doutais pas combien elles seraient dures.
Je fais donc la queue derrière d’autres gars qui ont la même tête de chien battu que moi. Et là, j’ai ma première confrontation avec l’autorité militaire. Un gradé qui passe dans le couloir devant notre file de pauvres hères m’aboie dessus : « Enlevez les mains de vos poches ! », ce que je m’empresse de faire vu que c’est demandé si gentiment. Une fois à l’intérieur du bureau, on me dit que je fais partie du contingent 95/12. Puis on me donne un badge à mon nom avec ma photo dessus et la date de la fin de mon service, à savoir le 30/09/96. On m’explique ensuite que je suis affecté dans telle chambre (je ne me souviens plus du numéro !). Je me dirige donc d’un pas lourd vers ma chambre. Je m’arrête devant la porte et je frémis. Je suis quelqu’un de très timide et qui déteste la promiscuité. J’ai ma propre chambre depuis l’âge de 12 ans. Inutile de dire que la perspective de devoir dormir avec 4 où 5 autres gars dans la même chambre ne m’enchante guère.
Je me décide à ouvrir la porte, et là je tombe direct sur un mec ! Merde ! Moi qui espérait avoir ne serait-ce que quelques instants de tranquillité, c’est foutu. Bon, il ne me reste plus qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je me présente donc.
- Salut, moi c’est Bruno.
- Salut, moi c’est Rémi, me répond-il.
Pour être honnête, le reste de la journée est assez floue dans mon souvenir, mais toujours est-il qu’à la fin de la journée nous sommes 5 dans la chambre. Il faut préciser que ce sont des chambres de 6, il y a donc un lit de libre. Mes autres compagnons sont : Mick, Jerry, et Arnaud. Pour Mick et Jerry, ce ne sont pas leurs vrais prénoms, c’est moi qui les baptise comme ça, ils s’appellent en réalité Jérôme et Mickey. Mais j’aime bien rebaptiser les gens avec des noms plus rigolos, et coup de chance, ils l’acceptent parfaitement. Tout comme Rémi, que je rebaptise « Rémaille », en prononçant le I à la fin de son prénom à l’anglaise.
Avec Rémi, Mick, Jerry et Arnaud nous nous mettons donc à discuter, et nous arrivons très vite tous à la même conclusion qui nous soulage tous : aucun d’entre nous n’est un fouteur de merde, et nous avons tous l’intention de ne pas faire de vagues et de passer un service militaire le plus tranquille possible. Rémy et Jerry se découvrent tout de suite un point commun, ils sont tous les deux de Montargis, à côté d’Orléans. Je ne me souviens plus d’où est Mick, mais Arnaud lui, est le seul à être du coin, il est de Lorraine. Ce qui lui fait une belle jambe vu que, à cause de la grève, les gradés ont décidé que les appelés qui font leurs classes (c'est-à-dire nous), ne rentreraient pas chez eux pour le week-end comme cela se fait habituellement car il y a trop de grèves et donc de risques d’arriver en retard à la base.
Quand ils nous disent ça, je réalise alors que nous allons rester enfermés dans cette putain de base pendant minimum un mois (la durée de nos classes) ! Inutile de dire que le moral, qui était déjà au 36ème dessous, en reprend un bon coup.
Je ne me souviens pas de ma première nuit, mais par contre, je me souviens de mon premier réveil. A 6h00 du matin, on entend une voix nasillarde hurler dans des haut-parleurs : « Réveil des aviateurs ! Réveil des aviateurs ! ». Je m’extirpe des brumes du sommeil en me disant « Mais qu’est-ce-que c’est que ces conneries ? y’a pas d’aviateurs ici ! Un aviateur c’est un gars qui pilote un avion !» Et c’est là que ça me frappe : c’est nous les aviateurs ! Comme dans l’armée de terre on appelle les appelés « soldat », et bien dans l’armée de l’air on les appelle « aviateur ». Je peux vous dire que au début, ça fait bizarre de s’entendre appeler aviateur à tout bout champ. Mais bon, c’est un coup à prendre, et au bout de quelques temps, on s’habitue.
Toujours est-il que à 6h15, la même voix assène dans les mêmes haut-parleurs la phrase définitive « Réveil et lever des aviateurs ! Réveil et lever des aviateurs ! ». Et là on est bien obligé de s’extirper à regret de la chaleur de son petit lit douillet. Oui, car il fait très froid en Lorraine, et là en plus on était au mois de décembre. On se gelait. Et inutile de dire que ces baraques militaires n’étaient pas super bien chauffées. Je crois que je n’ai jamais eu aussi froid de ma vie que pendant ces premiers mois d’armée, de décembre à mars. Parce que il faut aussi que je vous précise que les bases aériennes sont construites en hauteur, là où il y a le plus de vent, rapport aux avions. Alors ce vent, plus le froid, plus la neige, ça fait quand même beaucoup pour quelqu’un comme moi qui suis frileux.
Après le réveil matinal et le petit déjeuner, on nous emmène dans une sorte de hangar ou on va nous donner notre barda, c'est-à-dire tout le nécessaire pour s’habiller en militaire. On arrive donc dans ce hangar, on nous donne un caddie, et on est obligés de se mettre en slip et chaussettes pour voir si les vêtements nous vont à peu près. Inutile de dire que le hangar n’est pas chauffé, et qu’on se gèle grave. Toujours est-il qu’après avoir fait le tour du hangar et des comptoirs, on est habillés pour 10 mois. On a tous : un treillis, un calot, une parka, une ceinture, des bottes, un costume bleu avec une cravate bleue, etc …
Mais, l’objet le plus important, ce qui va vraiment me servir pendant tous ces mois de souffrances glaciales, ce sont des espèces de collants en laine qu’ils nous donnent pour mettre sous le pantalon pour avoir chaud. Ces trucs ne m’ont pratiquement jamais quitté pendant tous ces temps de froidure. Parce qu’il faut savoir qu’un pantalon de treillis, c’est pas très épais, c’est quand même fait pour pouvoir se battre dans la jôngle, et c’est donc fait dans du tissu assez souple. Alors inutile de dire que quand ça caille et qu’il y a du vent, on le sent bien. Ces « collants » étaient donc, tout du moins en ce qui me concerne, une bénédiction du ciel.
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