Le rôle des gradés est donc de nous apprendre la vie militaire. Première chose : la marche au pas. Et oui, comme les Nazis. Non, j’exagère, comme toutes les armées du monde, en fait. Ça à peut-être l’air facile quand on voit ça à la télé dans les défilés militaires, mais en fait c’est super dur. Surtout quand dans ton groupe tu as des cons qui ne respectent pas les consignes. Et le pire, c’est que les sergents qui nous font les classes, sont notés en se basant sur nos performances. Inutile de dire qu’il leur arrive de s’énerver assez rapidement.
Nous voilà donc en train d’apprendre à marcher au pas, de marcher en long, en large et en travers tout au long de cette putain de base. En fait, non. Nous marchions dans un secteur délimité autour de l’hébergement T2. Ah oui, j’ai oublié de vous le dire, c’est le nom du charmant bâtiment qui nous abrite. Et comme nous faisons nos classes, nous avons une zone délimitée ou nous pouvons nous déplacer, toujours accompagnés d’au moins un de nos sergents. En fait, nous ne voyons de la base aérienne qu’un minuscule bout. Nous allons de l’hébergement T2 à la cantine, ou aux salles de classe. C’est tout. De temps en temps, bien sûr, nous allons à d’autres endroits. Pour nous entraîner au tir, ou pour voir de près les avions.
Mais sinon, les 3/4 du temps, notre horizon est assez limité.
La marche au pas, donc. Le problème, quand on s’entraîne à faire de la marche au pas par -5°, c’est qu’il gèle. Et que donc les flaques d’eau gèlent. Et qu'elles deviennent des patinoires. Et quand vous devez balancer les pieds en cadence et avec dynamisme, croyez-moi, ça devient un énorme problème. Parce que vous glissez sur ces putains de flaques gelées qui sont de véritables patinoires. Je ne suis moi-même jamais tombé, mais j’en ai vu pas mal s’étaler. Notamment, un jour, un dom appelé Dalmasie qui s’est étalé de tout son long vers l’arrière, la tête la première. Un des sergents s’est précipité vers lui pour lui demander si il allait bien, et coup de chance, il était un peu sonné, mais à part ça, il allait bien.
Alors là, vous me dites : mais c’est quoi un dom ? Et là je vous dis de vous mêler de ce qui vous regarde. Non, je plaisante ! Et je vais d’ailleurs vous expliquer tout de suite ce qu’est un Dom.
En fait c’est très simple : un dom, c’est un appelé qui vient des Dom-toms. Des territoires d’outre-mer. Je n’ai jamais su pourquoi on les appelait dom, on aurait aussi bien pu les appeler tom. Quoi que, c’est vrai que c’est plus débile tom, ça fait oncle tom. Dom c’est plus neutre. Ça doit être pour ça.
Mais il n’y avait pas que les doms. Il y avait aussi un autre type d’appelés un peu spéciaux. Eux, ils s’appelaient des coopérants où un truc comme ça. En fait c’étaient des appelés comme nous, mais qui avaient fait avant leur service des stages de préparation au service tous les week-ends pendant au moins un an. Et donc, quand ils venaient faire leur service, ils s’y connaissaient déjà un peu, et ils n’étaient pas simples troufions comme nous, les pauvres cons d’appelés normaux. Non, ces messieurs étaient caporal, ou des conneries comme ça, et au lieu d’être avec nous, ils logeaient avec les officiers et ils nous dirigeaient. Inutile de dire que nous ne les portons pas dans notre cœur.
Au début, comme tout les monde, je croyais que c’était des militaires comme les autres. Au fur et à mesure, on s’est rendu compte que ce n’étaient que de sales collabos, et inutile de dire qu’ils ne sont pas remonté dans notre estime, où ils sont déjà très bas, vu que à nos yeux ce sont des militaires.
Mais il y a quand même un truc qui m’intrigue. C’est que parmi ces aspirants (ça y est, j’ai retrouvé leur nom exact), il y a aussi des filles. Et là, j’avoue être quand même intrigué : elles ne font quand même pas ça pour avoir un meilleur service militaire, puisqu’en France, les femmes n’ont jamais fait le service militaire (bonjour l’égalité des sexes !). Et en fait, plus tard, en discutant avec des anciens, on a appris que ces filles avaient en fait fait polytechnique gratuitement ou quelque chose comme ça, et que pour rembourser l’état français de cet investissement colossal, elles doivent servir pendant un certain temps à l’armée (un an, je crois). Mais en tant que gradées, bien sûr, pas en tant que simples soldates. Imaginez ces pauvres filles livrées à des centaines de jeunes appelés en rut, à mon avis l’armée aurait eu quelques légers petits problèmes de viol.
Elle sont donc gradées et logent avec les gradés, mais elles ne sont pas militaires de carrière. Parce qu’il y en a, des femmes militaires de carrière. Mais ceci est une autre histoire.
On passe donc nos journées à marcher de long en large de cette putain de base, à apprendre des conneries militaires dont je n’ai gardé aucun souvenir, et à faire des trucs militaires. Comme trucs militaires dont je me souviens, on a fait : simili guerre dans les bois avec fusils famas chargés à blanc (avec rations militaires et tout), tirs sur cibles à balles réelles (première fois de ma vie que je tenais une arme chargée dans les mains !) et d’autres conneries dans le genre.
Donc, pendant ces saletés de classes, il faut apprendre à marcher au pas, et comme je vous l’ai dit, ça gêle un max. D’ailleurs, un jour, on devait aller s’entraîner, et dehors il y avait une tempête de neige. Vraiment, c’était horrible, ça tombait, ça tombait, on n’y voyait pas à un mètre. Et nous, on regardait ça par les fenêtres, dégoûtés, parce qu’on savait que bientôt on allait se retrouver là-dessous. Sur ce, un de nos deux sergents arrive et nous dit « Bon, écoutez les gars, on va rester à l’intérieur et on va réviser la théorie, parce que là, ça tombe vraiment trop, ça sert à rien d’aller s’entraîner là-dessous ». Un discret « ouf ! » de soulagement fut poussé par toute ma section, et c’est à cette occasion que je me rendis compte que les gradés aussi étaient des êtres humains. Ils étaient comme nous en fait, ils ne voulaient pas aller se les geler.
Une des premières choses qu’ils ont fait quand les classes ont commencé, c’est de nous faire couper les cheveux. Mais attention, ici c'est à l’armée de l’air, donc ce n’est pas la boule à zéro. Et même, ceux qui ont une moustache ou une barbe avant de venir au service peuvent la garder, raisonnablement taillée, bien sûr. Je dois avouer que ça m’a vraiment étonné, moi j'étais sûr que ça allait être la boule à zéro pour tout le monde.
Donc, un jour, au début des classes, ils nous emmènent dans une grande salle située juste en dessous de la cantine. Et là, ils nous livrent aux mains expertes des apprentis de l’école de coiffure du coin. Or, ce qu’ils ne peuvent pas savoir, c’est que j’adore aller au coiffeur. J’adore me faire couper les cheveux. C'est donc pour moi un pur moment de bonheur dans cet océan de misère qu'est mon service militaire. Et le plus beau, c’est que quand je me suis levé, à regret, de la chaise du coiffeur, un aspirant (très con) m’a interpellé « Hep, aviateur ! C’est pas assez court ! Rasseyez-vous ! » Et moi d’obtempérer immédiatement. Je pense que si il avait su le bonheur qu’il me faisait là, il se serait abstenu. Mais toujours est-il que je suis donc retourné me faire couper les cheveux, en dissimulant ma satisfaction, bien sûr, je ne suis pas idiot non plus.
Ce fût malheureusement une des rares éclaircies dans cette période horrible que furent les classes. Car à cause des grèves, nous sommes restés cantonnés dans cette putain de base 3 semaines sans rentrer chez nous. Inutile de dire que ça a été très dur, en tout cas pour moi. Pour dire la vérité, j’avais l’impression d’avoir été mis en prison.
Si on y réfléchit bien, le parallèle est évident. Un univers clos, avec une privation de liberté, ou chacun de vos gestes est dirigé et réglementé sauf quand vous êtes dans vos chambres (les cellules). Oui, c’est vraiment l’impression que j’avais. Et j’étais dégoûté. J’ai toujours été un citoyen au-dessus de tout soupçon, obéissant aux règles et à l’autorité comme me l’avaient inculqué mes parents, et voilà ma récompense, on me fout en taule ?!?
J’avais vraiment beaucoup de mal à m’y faire. Je ressentais cela comme une énorme injustice, et pour tout dire, j’avais des envies suicidaires. Je vous l’ai dit, je n’étais jamais sorti du cocon familial, et pour moi, ce début de service représentait un choc d’une violence inouïe. Heureusement, il y avait les copains, et surtout les copains de ma chambre et de ma section. Mais vraiment, au niveau des copains de la chambre, j’avais eu beaucoup de chance, parce qu’il n’y avait pas un con dans le lot. On s’entendait tous très bien. Ils me redonnaient du courage, et on rigolait bien ensemble.
Une autre chose qui me permettait de tenir, c’était les coups de fil à ma famille. Il y avait une cabine téléphonique juste devant le bâtiment, et le soir, tout les monde faisait la queue pour appeler (eh oui, c’était avant l’avènement du portable-roi) avec sa carte téléphonique. J’appelais tous les jours car cela me réconfortait d’entendre les voix de toute ma famille que j’aime. Eh oui, on est très famille chez moi.
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